Produits de santé naturels - Le SPHQ répond à Santé Canada
Produits de santé naturels - Le SPHQ répond à Santé Canada

« Si la population canadienne ne savait pas déjà que l'eau traite la déshydratation et qu'il fallait indiquer cette vertu thérapeutique sur les étiquettes des bouteilles pour informer le-la consommateur-trice, le présent cadre règlementaire interdirait dorénavant aux compagnies de le faire. »

Présentation

Santé Canada a mené une consultation publique en septembre et octobre 2016 au sujet d’un nouveau cadre règlementaire visant à englober les cosmétiques, les produits de santé naturels (PSN) et les médicaments sans ordonnance. Le SPHQ a mené sa propre analyse qu’elle a soumise à neuf associations canadiennes liées à l’homéopathie (professionnels, école, consommateurs-trices). Ces dernières ont cosigné une lettre, reproduite ci-bas, transmise le 24 octobre 2016 à la directrice de la Direction des produits de santé naturels et sans ordonnance de Santé Canada.

 

Cosignataires

Maritime Society of Homeopaths (MSH)

Syndicat professionnel des homéopathes du Québec (SPHQ)

Montreal Institute of Classical Homeopathy (MICH)

Ontario Homeopath Association (OHA)

Canadian Consumers Centre of Homeopathy (3CH)

National United Professional Association of Trained Homeopaths (NUPATH)

Manitoba Homeopathic Association (MHA)

Alberta Homeopathic Association (AHA)

British Columbia Society of Homeopaths (BCSH)

West Coast Homeopathic Society (WCHS)

 

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Dans le cadre de la consultation menée par Santé Canada au sujet du nouveau cadre règlementaire englobant les cosmétiques, les PSN et les médicaments sans ordonnance, nous avons mené notre réflexion et analyse, partageant d’emblée les objectifs de la DPSNSO, soit celui d’offrir aux Canadiens et Canadiennes des produits convenant à leurs besoins afin de répondre aux objectifs de «prendre soin d’eux-mêmes et leur famille et maintenir leur santé en soignant des problèmes mineurs.»[1] Pour ce qui est de l’objectif du «maintien de l’apparence»[2] entrant également dans les paramètres du nouveau cadre règlementaire, nous nous abstiendrons de toute réflexion puisqu’il n’est pas de notre ressort de nous exprimer là-dessus, n’ayant bien sûr, aucune compétence en matière de règles de mise en marché des produits visés par cet objectif.

 

Cette mise en contexte nous propulse dès lors vers ce projet de règlementation qui cherche à fusionner trois règlements distincts; celui sur les cosmétiques, celui sur les produits de santé naturels et celui sur les médicaments sans ordonnance.

 

Première constatation

D’entrée de jeu, la proposition nous paraît fort ambitieuse, cherchant à forcer l’intégration dans une seule et même règlementation des produits dont la nature, la fonction et la notion de risque associée à chacun d’eux sont à des années lumière les uns des autres. En fait, nous concédons qu’il existe bel et bien un point commun entre les trois types de produits, mais qu’un seul point en fait, soit cette fameuse notion de risque. Cette seule notion justifie-t-elle que l’on puisse rassembler à l’intérieur d’un même règlement des produits destinés à «maintenir l’apparence» et des produits destinés à «maintenir la santé et soigner des problèmes mineurs» par le liant flou, pour ne pas dire artificiel, du «concept autosoin»? (À ce titre, on pourrait aussi alléguer que la pomme est un produit d’autosoin ainsi que le 1,5 litre d’eau recommandé chaque jour). Et cette notion de risque n’est-elle pas, à l’évidence, inhérente à presque tous (sinon tous) les produits de consommation? Même l’eau prise en trop grande quantité peut amener l’organisme en hyponatrémie. Est-il justifiable donc que sur cette seule base commune de notion de risque, Santé Canada élabore un cadre règlementaire qui force des produits aussi étrangers les uns aux autres à une cohabitation insolite dont le sens nous échappe, et qui risque surtout de plonger les consommateurs-trices canadiens-nes dans plus de confusion? Cette première constatation sur la cohérence des fondements de ce nouveau cadre règlementaire nous laisse entièrement perplexe.

 

Deuxième constatation

Une deuxième constatation quant à la cohérence de la proposition s’impose d’elle-même lorsqu’on regarde de près la pierre angulaire sur laquelle il s’édifie, soit les trois catégories de risque. En fait, cette cohérence est plutôt mise à mal puisque certains produits de santé naturels placés dans la catégorie à moindre risque (tels que l’homéopathie) se voient interdits de toutes allégations thérapeutiques; ce serait le cas notamment des produits composés ou complexes offerts par les manufacturiers homéopathiques. Comment un règlement sensé aider les Canadiens à prendre soin d’eux-mêmes et maintenir leur santé peut-il exiger des fabricants de produits destinés à cet escient, de retirer tout information sur les vertus de ces produits, c’est à dire leurs capacités à soulager et traiter? Comment est-il logiquement possible de justifier l’élimination de toute information sur les «bienfaits potentiels»[3] de ces produits? Peu importe le niveau de risque, tous les produits de santé ont une action, une valeur thérapeutique et il y a donc nécessité de poser une interface entre ces produits et le-la consommateur-trice pour que celui-celle-ci puisse savoir à quel symptôme ou maladie chacun d’eux est destiné et quelle est son action par rapport à ce symptôme ou cette maladie.

 

La véritable question en fait, ici, concerne l’exercice d’analyse qui a été effectué et qui a permis de conclure que des produits à moindre risque ne possèdent aucune vertu, aucun pouvoir thérapeutique, qu’ils ne peuvent traiter aucun symptôme, aucune maladie. Qu’est-ce qui, dans cette notion de moindre risque, permet de conclure à une efficacité moindre, sinon nulle? L’eau est un «produit» à moindre risque et pourtant l’on sait combien elle est efficace pour traiter la déshydratation, qui dans certains cas peut s’avérer mortelle. Si la population canadienne ne savait pas que l’eau traite la déshydratation et qu’il fallait indiquer cette vertu thérapeutique sur les étiquettes des bouteilles pour informer le-la consommateur-trice, le présent cadre règlementaire interdirait dorénavant aux compagnies de le faire.

 

En plaçant certains produits homéopathiques dans cette catégorie, on leur enlève la possibilité d’informer la population sur la manière de prendre soin d’eux-mêmes et leur famille et maintenir leur santé en soignant des problèmes mineurs. Il ne resterait à l’homéopathie que la possibilité d’indiquer qu’elle améliore l’apparence, si tel bienfait était avéré.

 

Pourtant, l’homéopathie est bien définie comme étant une thérapeutique. Et une thérapeutique est la partie de la médecine qui s’occupe des moyens médicamenteux ou autres, propres à guérir ou à soulager les maladies. Or davantage qu’une thérapeutique, en fait, et au même titre que l’acupuncture, l’ostéopathie, la chiropraxie et l’herboristerie/naturopathie, l’homéopathie a été définie comme un système médical complet. Elle a été reconnue et qualifiée comme telle par la Commission Européenne de Bruxelles en 1996 parce que comme ses quatre homologues, elle possède ses champs spécifiques en diagnostique, en thérapeutique et en prophylaxie. (Taillefer, 2009)

 

Cette partie du cadre règlementaire de Santé Canada qui évacuerait toute possibilité d’informer sur les vertus thérapeutiques nous conduit à penser que Santé Canada ne considère pas l’homéopathie comme étant une thérapeutique et encore moins un système médical. Qui plus est, cette impression se trouve renforcée par la somme des fausses allégations que l’on a disséminées (et qu’on a refusé de retirer après requête) dans le document de consultation destiné à la population canadienne et pour lesquelles l’ensemble des associations canadiennes homéopathiques (professionnels, écoles, consommateurs) ont demandé retrait dans une lettre envoyée le 20 septembre 2016 à M. Bruce Randall, directeur par intérim. À cet égard, nous remettons en annexe cette lettre, et nous réitérons que son contenu doit servir à une réflexion conséquente et cohérente pour la suite des choses. Cette lettre brosse un tableau succinct mais suffisant du potentiel de l’homéopathie et nous maintenons qu’il est essentiel que cette MNC (médecine non-conventionnelle) soit considérée équitablement et que Santé Canada n’entre pas aveuglément dans le jeu des organisations sceptiques et des médias – y compris Wikipedia – qui ne font que nourrir une désinformation biaisée. Si l’agence fédérale a malencontreusement pris le même sillon, il est important que des informations essentielles, telles que celles qui se retrouvent dans la lettre, puissent rétablir les faits. Si il y a véritablement nécessité d’élaborer un nouveau cadre règlementaire pour que les citoyens-nes fassent des choix mieux éclairés, il est primordial que ce nouveau cadre soit élaboré à partir de données complètes et non sur des clichés et faussetés véhiculés par certains groupes d’intérêt. De plus, nous estimons que l’agence fédérale a un certain devoir de réserve quant aux opinions et croyances qu’elle pourrait avoir sur des pratiques de santé qui sont de compétence provinciale.

 

L’homéopathie étant un système médical complet, nous nous accordons sur le fait qu’il est bel et bien dans le mandat de Santé Canada de s’assurer que la population soit informée adéquatement quant aux vertus et aux limites de cette thérapeutique pour des symptômes et maladies donnés, par l’entremise des étiquettes sur des produits spécifiques mis à disposition du-de la consommateur-trice. Cependant, encore une fois, nous nous demandons comment la DPSNSO peut prétendre remplir un tel mandat si elle demande à l’Industrie de retirer toutes les informations nécessaires aux choix éclairés. Pourtant les informations livrées dans le rapport sommaire sur la consultation menée en novembre 2014 sont claires : «grâce aux renseignements et aux instructions fournis sur l’étiquette, les Canadiens sont en mesure de choisir et d’utiliser ces produits afin de conserver et d’améliorer leur santé».[4] Ceci est en train d’être abandonné.

 

Comment, en effet, les citoyens de ce pays peuvent-ils être en mesure de faire un choix si comme dans le dossier des remèdes pédiatriques contre la toux, le rhume et la grippe, il est question d’enlever toute information sur les étiquettes? En règlementant ainsi, nous estimons que Santé Canada contrevient à sa mission première qui est de «s’assurer que la population canadienne ait un accès rapide à des produits de santé naturels sécuritaires, efficaces et de grande qualité, tout en respectant la liberté de choix ainsi que la diversité philosophique et culturelle».[5] En interdisant à un système de médecine comme l’homéopathie toute allégation de santé ou en exigeant des études scientifiques alors que ses produits relèvent d’un paradigme différent et sont issus d’une tradition éprouvée qui a réussi largement le test de la durée en terme d’innocuité et d’efficacité, nous ne pouvons que conclure à un désaveu de Santé Canada sur des produits centenaires que les Canadiens et Canadiennes utilisent avec confiance depuis de nombreuses années.

 

Les notions d’efficacité et de risque

Le nouveau cadre règlementaire, dans sa définition de la notion de risque, inclue également «sa préoccupation en cas d’échec du niveau d’efficacité, c’est à dire, les conséquences pour le consommateur si le produit n’a pas l’effet présumé.»[6]

 

Pour ce qui est de cette préoccupation, nous nous accordons avec l’agence fédérale. Tout produit à prétention thérapeutique, qu’il soit naturel ou chimique, peut ou non avoir l’effet présumé. Plusieurs facteurs interviennent dans une action thérapeutique et la notion d’efficacité intrinsèque d’un produit ne garantit en rien le soulagement ou la guérison. Cette préoccupation est-elle plus grande parce qu’il s’agit d’homéopathie ou d’autres produits naturels? Si tel est le cas, nous croyons que Santé Canada doit éviter de céder à cette fausse croyance répandue qu’un «vrai» traitement (i.e., conventionnel) soit d’emblée plus efficace. Cette position a été bien déconstruite, d’ailleurs, par l’étude EPI3 (que nous avons présentée dans la communication du 20 septembre). Nous rappelons brièvement ici que les résultats quant à ce fameux critère de perte de chance, dans l’étude faite auprès des 8559 patients-es, n’ont indiqué strictement aucune différence entre les trois groupes de patients-es (traitement homéopathique, traitement allopathique, traitement mixte). Les patients-es pris-es en charge par l’homéopathie seulement, en comparaison avec les autres patients-es n’ont pas vu leur condition se détériorer davantage.[7] D’ailleurs, il est intéressant de noter que cet argument a des racines historiques très discutables, même si il continue d’alimenter la tribune ainsi que le discours médical dominant. En effet, au milieu du XIXe siècle, lorsqu’on s’opposait à l’homéopathie, il était courant que les médecins incitent alors les patients aux traitements médicaux «sérieux» comme la saignée, et les découragent des traitements homéopathiques «risqués» (Taillefer, 2009; Coulter, 1975; Fournier 2008, 2009)!   Plusieurs études démontrent en fait que l’un n’exclue pas ou n’est pas au détriment de l’autre. Le recours à l’homéopathie n’empêche pas de recourir également à la médecine conventionnelle et vice-versa. (Taillefer, 2009).

 

La «science»

Le document de consultation contient plusieurs références à la «science» et aux «preuves scientifiques» sans définir ce dont il est question lorsque l’on s’y réfère. Tous les libellés du document pointant vers cette «science» semblent insinuer qu’il n’en existe qu’une seule. Dans un libellé visuellement encadré, il est même déclaré : «Santé Canada, en tant qu’organisme de réglementation à vocation scientifique, tient à ce que les Canadiens puissent avoir la certitude que lorsqu’une allégation est approuvée, cela signifie que le produit concerné répond aux normes pertinentes»[8].

 

Quelles sont ces «normes pertinentes»? Quels sont les critères établis par l’Agence fédérale qui arrivera à séparer le pertinent du non-pertinent? De quelle science s’agit-il?

 

Sans jamais être nommée en tant que telle dans son document de consultation, il nous semble que la DPSNSO a pris la voie de la médecine factuelle (Evidence-Based MedicineEBM) comme elle est définie par les tenants du positivisme et de la hiérarchie de preuves (principalement les méta-analyses et ECR) pour légitimer sa démarche actuelle. En tant qu’homéopathes, nous ne pouvions que nous réjouir de constater que la MC, dans les années 90, avait adopté ce principe des données probantes comme moyen d’asseoir une médecine basée sur des faits; ce qui a été un principe directeur de l’homéopathie depuis son origine; ce principe s’observant au travers de recherches faites à grande échelle sur des individus (incluant les pathogénésies) tout comme les autres sources possibles de preuves. (Barry, 2006; Kalitzhus et Matthiessen, 2009; Sherr, 1997; Walach et al., 2006; Witt et al., 2005).

 

Or, si on admet la grande révolution qu’a pu opérer cette médecine factuelle, dans les années 90, elle semble faire porter aujourd’hui aux tenants de ce système, des œillères indécollables, malgré les critiques de penseurs et détracteurs œuvrant autant dans la MC (médecine conventionnelle) que dans les MNC. «L’EBM est contestée par plusieurs (Barry, 2006; Borgerson, 2014 ; Goldenberg, 2006; Jonas, 2006; Lambert, 2006; Tonelli,  2007 ; Walach et al., 2006).»[9] Et certains joignent les rangs en soulignant ironiquement, que cette médecine manque en fait de preuves sur sa propre efficacité :

 

«Recently, we have joined a growing number of scholars who have voiced criticism over the EBM (French, 2002; Freshwater and Rolfe, 2004; Goldenberg, 2006; Staller, 2006; Traynor, 2002; Winch, et al., 2002; Walker, 2003). Our critical perspective develops some of the five shortcomings of the EBM succinctly described by Cohen, et al. (2004), namely, that EBHS [1] relies too heavily on empiricism, [2] relies on too narrow a definition of evidence, [3] ironically, lacks any evidence of its own efficacy, [4] is of limited use for individual patients and [5] threatens the autonomy of the clinician or patient relationship.»[10]

 

La réflexion et les critiques à l’égard de cette médecine factuelle sont donc loin d’être terminées. Et alors qu’une Direction telle que la DPSNSO semble se tourner essentiellement sur ce type de preuves, nous croyons qu’il est important d’en faire ressortir les principales failles afin d’éviter qu’elle ne devienne le seul critère valable sur lequel s’appuierait l’ensemble des politiques de règlementation de Santé Canada.

 

Grâce à un recul d’une vingtaine d’année, on peut reprocher principalement à la médecine factuelle de s’appuyer de manière trop réductrice sur les seules données quantitatives fournies par les essais cliniques randomisés (ECR), d’avoir tendance à dénigrer toute autre forme de connaissances, incluant l’expérience clinique des praticiens-nes et celles des patients-es (Murray 2007; Holmes et al. 2006a). Certain-es iront même jusqu’à la taxer de «fondamentalisme méthodologique». (Murray 2007; House, 2003, 2006) et au final, on dira que l’«evidence-based is nothing more than faith based when evidence refers only to hegemonic and institutional way-of-seeing»[11].

 

De par l’adoption en 2004 du présent règlement sur les PSN qui incluait un éventail large de types de preuves, il est clair que Santé Canada estimait alors, à juste titre, que les ECR n’étaient pas le seul outil valable d’évaluation de l’efficacité des produits offerts aux consommateurs-trices et qu’elle était prête à défendre et expliquer son cadre règlementaire. Qu’est-ce qui a changé? Y a-t-il eu de véritables événements, mettant en cause la vie de Canadiens et Canadiennes qui font qu’il y a urgence d’agir en faisant table rase d’un règlement qui fonctionne encore et qui est respectueux de la liberté de choix et de la diversité philosophique et culturelle?

 

Lorsque l’on fait référence aux «manières de voir et percevoir institutionnalisées» (Murray, 2008: 272) qui finissent par imposer ses dictats, il nous semble que ces dernières années, certains grands médias canadiens ont joué un rôle prépondérant en la matière et qu’il serait souhaitable, en fait, que Santé Canada fasse preuve de courage et détermination pour expliquer et défendre son règlement de 2004.

 

Ainsi que le dit David Skinner, dans son billet concernant le nouveau cadre règlementaire de Santé Canada, publié dans le webzine Policy Options en juin 2016 :

 

«Media people know that there is a broad range of evidence available using the scientific method, but they also are aware that the gold standard is the randomized clinical trial method. In an effort to make headlines, the media rallies around the idea that everything Health Canada touches should be held to the same high standard. This is unreasonable and not needed in order to make rational decisions on benefits and risks. Experts on evidence-based regulatory decision-making know that clinical trials are the least-used tool for making benefit-risk assessments due to their high cost, ethical considerations, and the need to force such interventions on the public when other types of evidence would provide a satisfactory outcome analysis.» [12]

 

Arrimage des MNC à la médecine factuelle

Et qu’en est-il de l’arrimage des MNC à la médecine factuelle (EBM)? La réflexion développée par certains-es, à cet égard, est éclairante :

 

«Tonelli and Callahan believe CAM is a field of enquiry for which suitable methods diverge from the traditional science-based view: ‘The methods for obtaining knowledge in a healing art must be coherent with that art’s underlying understanding and theory of illness. Orthodox medicine should consider abandoning demands that CAM become evidence-based, at least as ‘‘evidence’’ is currently narrowly defined, but insist instead upon a more complete and coherent description and defence of the alternative epistemic methods and tools of these disciplines’ (Tonelli & Callahan, 2001: 1214).»[13]

 

Nous croyons que le nouveau cadre règlementaire que souhaite mettre en place Santé Canada, enfermé dans le carcan idéologique de la médecine factuelle (EBM), deviendra un outil inapte à la gestion de l’offre des PSN aux consommateurs-trices canadiens-nes. Le balayage des normes de preuves traditionnelles ne fera que desservir tous ceux et celles voulant continuer à maintenir leur santé avec des produits sécuritaires et efficaces ou voulant opter pour un virage plus naturel au niveau du maintien de leur santé.

 

On semble sous-entendre, en trame de fond du document de consultation, que le-la consommateur-trice a besoin du sceau de la règle d’or de l’ECR pour faire ses choix. Or, il est intéressant ici de mentionner la recherche ethnographique effectuée par une anthropologue auprès d’un groupe de patients-es utilisateurs-trices d’homéopathie, en Angleterre, sur une période de deux ans. (Barry, 2003). Il a été constaté que la notion de preuve pour ces gens, c’est d’abord et avant tout ce qui passe par l’expérience personnelle. L’anthropologue a observé que ces gens ne s’appuient pas sur des études scientifiques pour prendre leurs décisions, mais qu’ils se fondent entièrement sur leurs capacités à ressentir et juger si un traitement fonctionne ou non pour eux. Au cours de sa recherche, jamais les utilisateurs-trices n’ont sollicité les résultats publiés des ECR pour savoir à priori si un traitement était efficace ou non. Cette étude fait écho à celle de Verhoef (2004) qui avait démontré dans une recherche qualitative avec des utilisateurs-trices de MNC, que pour eux-elles, les ECR étaient au bas de la pyramide hiérarchique par rapport aux données expérientielles. Ce qui est au sommet, qui fait que l’on choisira ou non tel ou tel traitement, ce sont donc les preuves anecdotiques amassées dans l’entourage: membres de la famille, amis-es, collègues de travail, etc… (Barry, 2006)

 

Serait-ce donc bien mal connaître et juger les utilisateurs-trices de produits de santé naturels, tels les produits homéopathiques, que de croire qu’ils-elles cherchent le «sceau d’or» de l’étude scientifique pour décider des choix de santé au quotidien? Et ne serait-ce pas aussi leur faire affront que de s’interposer dans ce qu’ils-elles ressentent comme étant juste et approprié pour eux-elles par le biais d’une stratégie de règlementation qui ne bénéficiera personne?

 

En définitive, pour répondre adéquatement à tout un pan de la société qui désire prendre soin d’eux-mêmes et maintenir leur santé à partir d’une voie davantage naturelle, nous réitérons que différentes sources ou différents types de preuves devraient, encore aujourd’hui, pouvoir être considérées comme une information valable scientifiquement.  Il est indéniable que la médecine factuelle (EBM) est essentielle et qu’elle a sa place. Santé Canada peut se définir comme une organisation qui y adhère, mais, selon nous, cela n’exclut aucunement cette possibilité de maintenir et sauvegarder des critères d’homologation qui tiennent compte de la nature diverses des produits et d’une évaluation juste et raisonnable du rapport risque/bénéfice. Surtout, nous estimons que si des efforts et de l’argent doivent être investis, ceux-ci auraient avantage à être mis au service d’une réelle éducation des canadiens-nes; ce qui passe également par contrer le manque de réflexion de l’institution médiatique qui, sans discernement, croit qu’il faudrait appliquer la même recette pour tous. (Skinner, 2016)

 

La question de la survie de l’Industrie et les conséquences sur la sécurité pour les canadiens et canadiennes

Dans le dossier récent concernant les remèdes pédiatriques contre la toux, le rhume et la grippe, il avait été clairement démontré que ces préparations homéopathiques sont le pain et le beurre de l’Industrie. Dans le cadre proposé actuellement, c’est maintenant l’ensemble des préparations homéopathiques qui sont visées, ce qui signifie une perte de marché encore plus grande et plus dommageable pour les fabricants canadiens. Il est nécessaire de le rappeler et le souligner ici : en interdisant les allégations thérapeutiques sur les étiquettes, l’industrie ne sera plus en mesure d’offrir ces produits et le retrait de toutes ces préparations homéopathiques signera indéniablement la fermeture d’entreprises canadiennes auxquelles nous, comme professionnel-les de la santé, accordons entièrement notre confiance, étant donné les standards de qualité qu’elles sont obligées d’observer grâce à la règlementation actuelle de la DPSNSO.

 

Ces fermetures prévisibles obligeront tous les membres de notre profession à se tourner davantage (sinon uniquement) vers les fabricants étrangers, facilement accessibles par ailleurs. Cela ne pourra qu’amener des pertes de revenus additionnelles pour les fabricants qui auraient réussi à passer au travers de cette crise (s’il en reste). Et cela ne pourra qu’entraîner des pertes d’emplois et des pertes substantielles de revenu pour des familles canadiennes ainsi que pour nos différents paliers de gouvernement.

 

Mais l’argument financier n’est pas le seul à prendre en considération. Que savons-nous de la qualité et de la sécurité des remèdes homéopathiques fabriqués à l’étranger? Comment Santé Canada pourrait-elle garantir qualité et sécurité pour les Canadiens et Canadiennes qui voudront continuer à se traiter ou traiter leur famille avec des remèdes unitaires ou préparations homéopathiques commandés ailleurs qu’ici?

 

En conclusion

Nous avons démontré qu’à la base, un règlement qui force la cohabitation de produits aussi divers de par leur nature ne peut espérer réaliser ses objectifs de sécurité, d’efficacité et de gestion adéquate d’offres de produits qui respectent la liberté de choix. Nous avons également mis en relief l’amalgame inexpliqué entre risque et efficacité et qui amène à conclure qu’un produit à faible risque n’a pas de potentiel thérapeutique. En outre, nous n’arrivons pas à percevoir les motifs, s’il y en a, pour interdire les allégations sur l’emballage de ces produits.

 

Nous sommes sensibles à la préoccupation de Santé Canada quant aux conséquences possibles d’un produit qui n’aurait pas l’effet escompté et nous avons démontré que cette préoccupation concerne tous les produits qui sont des produits de santé, naturels ou non. De plus, historiquement, l’argument du danger d’un délai de traitement démontre qu’il prend racine, sans avoir jamais été remis en question, dans la naissance de l’hégémonie médicale qui au XXe siècle s’accentue avec les luttes politiques que les médecins ont menées dans l’évolution du contrôle de la pratique médicale (et plus récemment depuis l’ère du monopole de l’EBM), pour exclure toute concurrence, dont l’homéopathie.

 

La «science», et plus particulièrement la branche de cette science qui se réclame de la médecine factuelle (EBM), bien qu’utile, monopolise tout le débat actuel. Mais nous avons fait valoir que de plus en plus de scientifiques attestent qu’il existe d’autres formes de preuves qui sont aussi valables. Le one size fits all n’est pas une solution et bon nombre de consommateurs-trices s’appuient autant sinon davantage sur leurs propres expériences ou l’expériences de leurs proches pour faire des choix qui sont tout aussi éclairés que ceux dictés par les études cliniques contrôlées. L’élaboration du règlement sur les PSN en 2004 reposait d’ailleurs sur ce constat.

 

Dans cette perspective, nous croyons que le règlement actuel sur les PSN abrite de bonnes règles qui servent bien les Canadiens et Canadiennes, tout en garantissant leur sécurité parce qu’ils-elles achètent ici. Nous demandons à ce que ce règlement soit conservé, et mieux encore, qu’il soit expliqué et défendu, et que des investissements pour une éducation du public en matière de santé naturelle devienne la priorité de la DPSNSO. Préoccupée par le fait que les consommateurs-trices ne connaissent pas suffisamment les produits qui s’offrent à eux-elles, nous considérons qu’il est du rôle de Santé Canada de fournir des outils d’éducation et d’information afin que les décisions prises au quotidien en matière de maintien de la santé se fassent grâce à des données complètes et non-biaisées, disponibles et accessibles à tous et toutes.

 

En ce qui concerne l’homéopathie, tout autant que les autres produits de santé naturels, nous ne croyons pas justifiable, utile et pertinent qu’un nouveau cadre de surveillance soit mis en place qui remplace ce que fait déjà le règlement sur les PSN.

 

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[1] http://canadiensensante.gc.ca/health-system-systeme-sante/consultations/selfcare-autosoins/index-fra.php

[2] ibid.

[3] ibid.

[4] http://www.hc-sc.gc.ca/dhp-mps/consultation/natur/sum_chpf-som_cpsc-fra.php

[5] http://www.hc-sc.gc.ca/ahc-asc/branch-dirgen/hpfb-dgpsa/nhpd-dpsn/index-fra.php

[6] op. cit.

[7]https://www.comb.cat/cat/colegi/seccions/homeopates/pdf/01Conventional_medicines_versus_homeopathy_the_epi3_strudy_begaud.pdf

[8] op. cit.

[9] Taillefer, A. (2016). Vaccination infantile et discours hétérodoxes: étude sur le savoir interdit d’infirmières, de médecins, d’homéopathes et de sages-femmes, thèse de doctorat en sociologie, Montréal, Université du Québec à Montréal, 376 p. [à paraître]

[10] Murray et al. (2008) On the Constitution and Status of ‘Evidence’ in the Health Sciences, Journal of Research in Nursing; 13; 275

[11] ibid.

[12] Skinner, David (2016) ; Health Canada – A Clash between Science and Evidence, Policy Options Politiques, 2016-11-06

[13] Barry, C.A (2006).The role of Evidence in Alternative Medecine: Contrasting biomedical and anthropological approaches, Social Science and Medecine 62, Elsevier, 2648

 

 

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Références

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Taillefer, A. (2016). Vaccination infantile et discours hétérodoxes: étude sur le savoir interdit d’infirmières, de médecins, d’homéopathes et de sages-femmes, thèse de doctorat en sociologie, Montréal, Université du Québec à Montréal, 376 pp. [à paraître]

Tonelli, MR. et TC. Callahan (2001). « Why alternative medicine cannot be evidence-based », Academic Medicine, 76 (12) : 1213-1220.

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